Nous sommes samedi matin et j’attends une amie pour aller visiter des expos. Je crois qu’elle dort encore. Je demande à la fille à qui je parle tous les jours de me donner cinq mots qu’elle aime, sans lui dire pourquoi. Elle me dit : lécythiophilie et parcimonie.
Lécythiophilie, formé à partir du nom lécythe qui signifie : “Sorte de vase où les Grecs mettaient du vin, de l’huile, des parfums, et qui était généralement décoré de dessins sur fond uni ; ceux de couleur blanche servaient de stèles ou d'urnes funéraires.”1 Le lécythiophile, comme le cuthomiurophile, est celui qui collectionne des miniatures de parfum.
À partir de ce mot, je me dis que je vais partir sur quelque chose d’olfactif, de visuel aussi. J’ai vu The Shrouds au cinéma il y a quelques jours, le dernier film de David Cronenberg sur un nouveau mode d’enterrement des morts. Je pense au Parfum de Patrick Süskind. Elle ajoute les mots : enivrer, respirer, sibyllin. Un monde commence à émerger.
Parcimonie, n. f. : Épargne minutieuse, économie, mesure. “Sans parcimonie” signifie “avec prodigalité”.
Enivrer, v. : Rendre (quelqu’un) ivre, mettre (quelqu’un) en état d’ivresse.
Respirer, v. : Aspirer et rejeter l’air pour renouveler l’oxygène de l’organisme. (Par métonymie) Être en vie. Vivre. (Sens musical) Marquer une pause.2
Ce matin je suis tombée sur les oracles de Dakota Warren, autrice (et influenceuse) contemporaine dont j’aime énormément l’esthétique. C’est justement en les lisant que j’ai eu envie d’écrire, de profiter d’un moment de blanc dans ma journée (Dieu sait qu’ils se font rares en ce moment) pour sortir de moi des mots.
Je pense à l’enveloppement des corps, à leur ornementation, au rendre-mystérieux : cacher et dévoiler, rendre obscur – pourquoi, comment ? Je pense à Mallarmé évidemment, à ce vers bien connu :
Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.
Ce vers étudié en L3 de Lettres, ce vers qui réactive l’étymologie du mot hasard. Pourquoi hasard et pas chance ? Parce que hasard vient de l’arabe az-zahr qui signifie “jeu de dés”. Mallarmé abolit le hasard en surdéterminant ses choix lexicaux. Le mot hasard n’a pas été choisi au hasard. Le hasard dans la langue n’existe pas.
Dans The Shrouds un mari éploré s’enroule dans un linceul pour tenter de sentir ce que sa femme morte a senti, ce qu’elle sent encore sous terre.
Dans Le Parfum un homme doué d’un odorat surnaturel tue de jeunes filles vierges pour extraire le parfum de leur corps. Il les enroule dans des bandes enduites de graisse et parvient à exhumer leur essence olfactive.
Il ne me reste plus qu’à écrire.
Je commence à écrire des morceaux qui ne me plaisent pas trop :
sur ma peau / comme un drap / comme un bras
cabossé
le parfum / du regret
les ext / ases ajourées
ton odeur / inhumée
ex / humer les odeurs res / pirer la noirceur
sans parti pris / parcimonie
***
un dédale / sibyllin un / baiser / sur ton
sein / un parfum / déposé
comme une nuit d’été
comme une voix / miraculée
Et, parce qu’on ne se refait pas, je recommence à écrire comme j’aime écrire mes poèmes : tout en majuscules.
Le Linceul (poème)
-
DÉPOSER SUR MA PEAU / COMME UNE APOTHÉOSE
TON ODEUR EXHUMÉE / DISPARUE / JAMAIS TUE
LE DÉDALE CRISTALLIN / TES BRAS FINS / SIBYLLINS
TON CORPS ÉVANOUI / DANS UN SONGE ÉTHÉRÉ
DANS LE NOIR TIÈDE D’UN SOIR D’ÉTÉ
-
ENVELOPPER TA PEAU / D’UN DRAP GRAS D’UN
BLANC BRAS / ÉCRASER TON VISAGE
EXTRAIRE LES TRACES DE TA CARAPACE
AVEC PARCIMONIE / RELANS DE JALOUSIE
-
J’AI RESPIRÉ TON CŒUR / IL ÉTAIT
SOUS LA TERRE, MAGISTER
-
CONFECTIONNER POUR TOI / TOUTE UNE
GALERIE / CATALOGUER L’ARDEUR / CO
LLECTIONNER (TA) SUEUR
PARCE QUE LÉCYTHIOPHILE, PARCE QUE
MÉTAMORPHOSE DE LA CHLOROPHYLLE
-
J’AI VU TON OMBRE ERRER / DANS UN ÉCRAN CASSÉ
REBOUCHER LA FISSURE / APOSER UNE TERRE
SUR LA TRACE-CREVASSE
ENIVRER MA DOULEUR / D’UNE PUTRIDE O
DEUR
Définition du Wiktionnaire.
Définitions du CNRTL.
Magnifique poème !! et merci d’avoir partagé la méthode, très motivante pour se lancer !! :-)
Passionnant de suivre ton processus créatif
Merci pour cette lettre !